
Combien de temps faudra-t-il donc aux Algériens, pour sortir du cauchemar où ils croupissent, combien de souffrances encore, devront-ils endurer ? Que leur faudra-t-il encore traverser de déserts, pour émerger des épaisses ténèbres qu’est devenue leur vie ? Le jour est-il proche, de leur libération, de l’aube promise, de la crue annoncée, qui viendra emporter les vieilles souches, et fertiliser les terres calcinées ?
Le jour tant espéré, est-il proche, pour tous ces damnés de la vie, de pouvoir enfin panser leurs blessures, se relever de l’ornière où ils ont été précipités, relever la tête et regarder vers demain ? Pourront-ils enfin exorciser les douleurs de leur histoire, autrement que par la haine et l’anathème ?
Voudront-ils enfin, se sortir de l’enfer où ils ont étéincarcérés, ou resteront-ils d’éternels naufragés de la vraie vie, emportés par des vents mauvais, incapables d’atteindreles rives de la vraie vie ?
Il ne leur reste que le choix de la vraie vie, de la libération et de l’honneur. Ils n’ont pas d’autre choix, les Algériens, s’ils aspirent au bonheur et à la dignité, s’ils veulent donner du sens à leurs pulsions, à leurs rêves.
L’histoire de l’Algérie, au plus loin que nous puissionsremonter, n’a jamais été cette épopée qu’on leur rabâche, menée par des héros impeccables et sublimes, mais des engagements d’hommes et de femmes qui se sont engagés progressivement, parfois timidement, et même parfois contre leur propre gré, contre les oppresseurs successifs. Ils ont suivi, parfois aveuglement, des chefs de toute sorte, qui avaient des qualités et des faiblesses d’hommes.
Certains s’y sont distingués par leur courage, l’amour de leur terre, leur intelligence, leur sens du sacrifice. D’autres par leur opportunisme, leur lâcheté, leur cruauté, et même par la trahison. Et ce sont ces derniers, d’une façon générale, qui ont raflé les fruits de la victoire.
Il en a été ainsi pour la révolution de novembre, qui a été embrassée par des êtres de chair et de sang. Une histoire humaine, une brutale et sanglante mêlée, de l’héroïsme et des trahisons, du sang et des larmes, de la récupération et des matamores de la 25eme heure.
Mais le plus amer pour les Algériens a été le dévoiement de leur histoire, le vol de leur victoire sur l’oppresseur, par un autre oppresseur. L’altération de la vérité, par les voleurs du feu sacré, par la destruction de ce socle moral sur lequel reposait leur mémoire collective.
Puis sont venus les heures de sang et de larmes. Des monstres surgis des flancs même de la patrie allaient commettre des carnages contre leurs propres compatriotes. La violence et la subversion allaient s’emparer des cœurs et des esprits. Une sanglante confusion. Un déferlement de haine déchainée. Et même quand le régime siffla la fin de la sinistre partie, rien ne fut réellement entrepris pour réconcilier les Algériens, si ce n’est une scélérate charte qui n’était rien d’autre qu’une auto-amnistie, pour les tueurs des deux bords.
Puis vint le Hirak, un cri de révolte mais aussi de joie, venu des entrailles de ce peuple, et qui rassembla les enfants de ce pays, en une chaleureuse étreinte. L’allégresse et les retrouvailles tant espérée. Une thérapie collective, pour se guérir de la purulence, pour aller vers une salutaire résilience.
Mais c’était compter sans ce régime criminel, ce régime monstrueux, que ces retrouvailles des Algériens les uns avec les autres entravaient, parce qu’il ne peut s’accommoderd’un peuple uni, d’un peuple apaisé, décidé à se débarrasser de ces banderilles de la haine, qui avaient été plantées dans son cœur.
Ce régime a donc tout fait, tout entrepris, pour casser ce merveilleux sursaut de dignité, de tout un peuple.
Parce qu’il sait que les peuples qui laissent trop longtemps macérer leur ressentiment, qui l’entretiennent même, et qui le transmettent à leurs descendants, ne se libéreront jamais de l’emprise de ceux qui les oppriment.
L’heure a sonné, pour nous tous, avant qu’il ne soit trop tard, d’honorer la mémoire de ceux qui nous ont donné leur vie pour que nous puissions vivre libres et dignes. Mais nous ne pourrons nous retrouver, et nous ne pourrons faire front, face à un même monstre, que si nous pardonnons à ceux qui ont failli, à ceux qui se sont égarés, et même à ceux qui nous ont fait du mal.
Finis les piloris de haine ! Nous devons apprendre à pardonner, à ceux qui nous ont meurtri. Leur fardeau est suffisamment lourd à porter, pour les accabler davantage. Laissons-leur la possibilité de revenir vers leurs frères !
Pathétiques et pitoyables sont ces peuples qui se répandent dans la vindicte et la fureur, qui expriment leur rancœur en recourant au couteau et à la hache, et qui dressent des pieux sanglants, comme autant de totems incantatoires, comme autant de pals cruels.
Ils ne sortiront de la nuit où ils ont été emmurés, où ils se sont murés, que lorsqu’ils débusqueront leurs cauchemars.
Le moment n’est-il pas venu, de revenir de nos fourvoiements, de sortir de nos ténèbres, de rebrousser chemin, de prendre celui de la réconciliation apaisée et généreuse, avec le passé, tout le passé ?
Saurons-nous, nous tous, sidérés par la haine inséminée, pardonner à ces victimes expiatoires qui nous sont désignées, qui cherchent désespérément à revenir à la maison commune ? Aurons-nous la force et la générosité, de nous réconcilier avec tous ceux qui ont été forgés comme autant de nos ennemis, souvent bien malgré eux ?
Pourrons-nous nous délester de ces fardeaux de détestation, pour que vienne l’heure du pardon, des retrouvailles. Pour que les promesses de fraternité puissent s’accomplir enfin !
Que vienne le temps de la délivrance et de la dignité ! Que vienne le temps de la fraternité !
Par Djamaleddine Benchenouf
Intéressante rétrospective d’un passé mémorisé. De l’éloquence,de l’intensité dans les deux derniers énoncés de l’article,et puissance des mots traduisant un souhait, une espérance et une réelle émotion : délivrance, dignité et fraternité. On est là dans la vraie dimension du bien.
Salut cher djmeleddine bravo pour cette impressionnante édito