Certains signes ne devraient pas tromper, et certaines situations non plus. Et certains évènements, certains bouleversements, devraient interpeller la société tout entière, provoquer une saine clameur publique, une alerte au sein de la nation, un salutaire avis de tempête, pour se préparer au pire, à la résistance, à la solidarité, à prendre le taureau par les cornes, et tout entreprendre pour sauver les meubles, comme on dit.
Pourtant, malgré la gravité de la situation, malgré une crise économique qui s’annonce déjà, et dont les effets commencent à se faire ressentir très durement sur la vie de millions d’Algériens, malgré une répression sans précédent, exercée contre des militants politiques, malgré l’instrumentalisation de la justice contre les citoyens, et même contre le droit, contre la notion même de justice, contre l’esprit même de la constitution et de la république, malgré le nombre alarmant de harragas, qui se jettent à corps perdu dans la méditerranée, pour tenter de fuir leur pays, malgré la plus totale défaillance des pouvoirs publics dans la gestion de la Covid, malgré le nombre croissant des chômeurs, dont le vrai taux n’est pas loin de 50% de la population active, malgré les dépenses militaires abusives, sur lesquelles aucune institution n’a un quelconque droit de regard, encore moins de contrôle, malgré une ahurissante carence de l’état dans la gestion de la circulation routière, qui provoque tous les jours des hécatombes, malgré le bilan désastreux de l’école, et de l’université, qui ne produit plus que des chômeurs diplômés, ou des candidats à l’exil, malgré la situation tragique du secteur de la santé, et malgré tout le reste, que nous ne pouvons pas énumérer ici, pour la simple raison que rien ne fonctionne normalement dans ce malheureux pays, absolument rien, si ce n’est les achats massifs d’armement et de dotations militaires, la société algérienne, et tout particulièrement sa supposée élite, reste de marbre, non concernée, indifférente à son propre sort, comme totalement fascinée, incapable de réagir à la terrifiante réalité, et qui donne l’impression d’avoir été anesthésiée.
Et finalement, si nous devons faire un état des lieux, sans concession aucune, et sans aucun autre état d’âme, ce régime aura réussi la monstrueuse gageure d’atomiser la société, d’inséminer en son sein la haine et la discorde, de l’infecter en profondeur de contre-valeurs, de neutraliser tous les acteurs sains d’une aspiration au relèvement de la nation et à l’avènement d’un état de droit. Un régime qui joue sur du velours, qui a eu toute latitude pour assurer une transition vers d’autres possibilités, et qui n’est obnubilé que par le pouvoir, jusqu’à domestiquer la pseudo opposition, jusqu’à corrompre des influenceurs et des relais médiatiques que nous pensions indépendants. Il a institué le désert politique en seule perspective.
En peu de mots, un bilan tragique, et de très sombres horizons. Une situation qui laisse imaginer que les lendemains ne seront pas réjouissants. Une situation qui aurait dû provoquer une mobilisation nationale, pour sauver ce qui peut encore l’être, et qui pourtant n’a suscité aucune réaction de salut public. C’est dire que l’état des lieux est très inquiétant. Et c’est dire que tout reste à faire. Si tant est que ce n’est pas trop tard. Que ce n’est pas irréversible. A Dieu ne plaise !
Par Djamaleddine Benchenouf