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Alger

Nous revendrirons!

Le Hirak a mobilisé des millions d’Algériens deux années durant, avec des hauts et des bas, mais malgré la contre-révolution, il a été d’une régularité de métronome, chaque vendredi, puis chaque mardi, au point où cet humour algérien très particulier et très caustique a inventé les verbes vendredire et mardire. 

Un mouvement contestataire spontané et massif, fruit d’une très longue gestation, et dont les revendications étaient exclusivement politiques. Transition pour la restitution du pouvoir au peuple, un pouvoir qui avait été spolié par les chefs de l’armée depuis l’indépendance du pays, avènement d’un Etat de droit, assemblée constituante, élections générales qui soient enfin transparentes et sincères. 

Ce Hirak allait obtenir des résultats que personne n’imaginait, au point où le régime vira en logique cannibale, puisque certains parmi les barons de ce même régime allait jeter leurs propres comparses et leurs propres clients en pâture à l’opinion publique, pour sauver leurs têtes, et gagner du temps, le temps de laisser agir la terrifiante subversion qu’ils avaient ébranlée. 

Une circonstance très particulière allait permettre à ce régime de reprendre l’initiative. La pandémie de la covid. Une véritable aubaine pour un système en fin de ressources, et qui commençait déjà à plier bagage. 

Mais plutôt que de profiter de ce répit que lui offrait cette malencontreuse providence, malencontreuse pour le peuple algérien bien sûr, ce régime, aussi borné qu’il l’a toujours été, incapable de mesurer la gravité de la situation, encore moins capable de refonder l’Etat, en a profité pour finir le travail qu’il avait commencé, mettre toute son énergie pour casser définitivement le Hirak, redynamiser le terrorisme pédagogique dans lequel il était passé maître, et surtout tout faire pour dresser les Algériens les uns contre les autres, sans craindre de semer les germes de la discorde et de la haine. 

Mais il n’avait pas tenu compte d’un facteur essentiel. Une crise économique sans précédent, qui s’apprête à s’abattre sur la vie des Algériens, et contre laquelle il n’y a absolument aucune parade, du moins tant que ce système est en place. Un tsunami économique, qui va déferler sur un système rentier, qui ne repose sur aucune logique de création de richesse, dans une société totalement déstructurée, où absolument rien ne fonctionne normalement, où la corruption gangrène en profondeur tous les mécanismes administratifs et économiques, et dont les produits de consommation et de transformation sont presque tous importés, à un moment où le produit des ressources hydrocarbures a chuté à des niveaux qui ne permettent plus de faire face aux dépenses les plus indispensables. 

Il faut rappeler que durant les vingt ans d’embellie de la période Bouteflika, les masses d’argent qui tombaient dans le giron du régime lui avaient permis non seulement d’arroser tous ses relais et ses remparts, mais surtout d’anesthésier la société algérienne, une corruption de masse, qui a provoqué un changement phénoménal des habitudes de consommation des Algériens. Le marché débordait de tout, les ports n’avaient plus de capacité pour recevoir les produits importés, au point où il a fallu créer les ports secs, le gaspillage avait atteint un niveau choquant. Les classes moyennes s’étaient très élargies, et avaient atteint un niveau de vie jamais égalé dans ce pays, si tant est que le gaspillage est un signe d’opulence. Toutes les populations frontalières de nos voisins venaient s’approvisionner en Algérie, tout particulièrement en produits subventionnés par l’Etat. Une prospérité illusoire avait fait croire à tout le monde que l’Algérie était devenue un pays développé. Pourtant, hormis le secteur agricole, qui fonctionnait surtout sur la base d’intrants importés, et une industrie alimentaire de transformation, qui était devenue un juteux créneau de surfacturation et de pillage des richesses du pays, le pays ne savait toujours pas ce que création de richesses voulait dire. 

Les Algériens ont mangé leur blé en herbe, et celui des générations futures, puisqu’il est avéré maintenant, que dans quelques années, le gaz algérien ne pourra même pas suffire à la consommation nationale. 

Ce régime n’a donc fait que gagner du temps, et il a fini le sale boulot qu’il avait entrepris des décennies durant, extirper de cette malheureuse société la moindre possibilité de pouvoir relever son pays. Un régime qui a transformé ce pays de cocagne en vaste médiocratie, antinomique à la notion même de mérite, d’intégrité, de génie. Au point où toutes les compétences de ce pays ne rêvent que de pouvoir s’exiler. 

Mais la colère gronde. Les premiers effets de la grande crise commencent à se faire sentir. Pourtant, ce ne sont que des embruns, qui annoncent la tempête. Mais déjà, et bien que les réserves de change ne soient pas encore totalement épuisées, des millions d’Algériens ont déjà basculé, du jour au lendemain, non pas seulement dans la précarité, mais dans la misère.  En termes de pouvoir d’achat, les revenus ont perdu la moitié de leur valeur, dans le même temps que les produits de première consommation flambent. 

La rentrée sociale promet d’être houleuse, face à un régime autiste, frappé d’inaptitude systémique à la gouvernance. Un système obsolète, gérontocrate, pervers jusque dans sa perception de la vie, et qui n’a même plus les moyens de ses méthodes, ces centaines de milliards de dollars qui lui avaient permis d’acheter la paix sociale, dans le même temps qu’il gavait ses clientèles et ses parentèles. 

Le temps est à l’orage.  Le Hirak a été la révolution de la dignité, et de l’aspiration à un Etat de droit. Le front social, qui s’annonce déjà, risque de dégénérer en révolte de la colère, face à une junte qui ne sait répondre que par la corruption ou la violence. Or, elle ne dispose plus de cette manne qui lui permettait d’anesthésier les masses. 

Par Djamaleddine Benchenouf

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4 Commentaires

  1. Avons nous encore le temps pour faire sortir ce pays de ses cendres. ce n’est point du pessimisme mais un constat tellement amer parfois je me dis mon dieu on a tellement besoin d’un sursaut salvateur qui d’un coup va balayer toute cette misere

  2. L’algérie en a vu des vertes et des pas mures.cette fois un miracle se produira ,comme tant de fois ,dans son histoire millénaire et « ‘l’occident en entier retiendra son souffle. »le moment est venu pour revoir sa copie »‘.tout se qui passe au pays profond est une expulsion d’un corps etranger d’un corps sain.en finalité le temps joue pour L’algérie Algérienne sociale ,Généreuse et surtout promise à un grand destin.nous n’avons pas le droit de baisser les bras, Salam.

  3. Excellente analyse sur tous les plans.
    Juste que je ne partage pas totalement cette affirmation »Une circonstance très particulière allait permettre à ce régime de reprendre l’initiative. La pandémie de la covid. Une véritable aubaine pour un système en fin de ressources…  »
    Certes la pandémie a freiné 2 fois l’élan des marches du Hirak mais je pense que la Covid-19 est le tombeau du régime algérien qui le prive de toutes les issues possibles face au peuple algérien avec lequel il est en guerre depuis 2019. En effet, les quelques leviers et atouts que le régime avait avant 2019 ont été anéantis par la pandémie :
    1/ Baisse des recettes en devises des hydrocarbures liée à la crise économique mondiale structurelle (donc qui va durer dans le temps) engendrée par la Covid
    2/ Accélération de l’épuisement des réserves de change qui compensent, depuis 2014, le déficit en devises vu que les dépenses en importation stagnent voir en augmentation par l’effet croisé de la croissance de la population (+1 million habitants par an) et l’augmentation des prix des produits sur les marchés mondiaux (céréales, lait, matières premières,…) à cause de la crise sanitaire
    3/ Mise à nu de la flagrante déficience dans la lutte du gouvernement face à la crise pandémique où l’Algérie est l’un des très rares pays « riches » au monde qui n’a quasiment rien dépensé dans l’achat des moyens de dépistage (tests) et vaccins ce qui s’est traduit malheureusement cet été par des milliers d’Algériens qui ont succombé au Covid à travers le territoire national.
    4/ les pays « amis » comme les monarchies du golf ne pourront pas venir en aide au régime par des dons ou prêts bonifiés car ces pays sont aussi secoués par les crises sanitaire et économique et leurs réserves sont investies dans la transition vers une économie post-pétrole dictée par l’urgence climatique
    5/ l’Algérie n’est plus éligible à l’emprunt international étant donné la crise économique sans précédent où il y aura beaucoup de pays au monde qui voudraient emprunter sur les marchés financiers mondiaux et l’Algérie présente 2 inconvénients lourds face aux pays concurrents emprunteurs : – somme colossale nécessaire pour couvrir juste le déficit des dépenses de fonctionnement (10 à 20 milliards USD par an) – nombre important de fonctionnaires notamment les policiers/gendarmes qui dépasse les 400 000 et qui ne produisent aucune richesse !

  4. Et bel article !…fluidité et lucidité dans les pensées et logique dans le raisonnement qui viennent marquer les esprits. Dj.Benchenouf, un journaliste aguerri, de tempérament calme qu’animent un courage réfléchi,une énergie et une force de volonté dans le travail, sans pareils . Il garde une hardiesse dans les idées et les principes, et affiche une manière singulière de dire les choses sans à priori ni censure, en toute liberté intellectuelle, et avec un regard politique chargé d’éloquence … et c’est pourquoi j’apprécie infiniment ses écrits … Mes encouragements, monsieur Benchenouf ! … vous faites une entrée tonitruante à Algérie-Emergence, et bonne continuation !

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